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Construire en terre crue

entretien avec Bruno Belenfant qui nous parle de la Terre Crue, matériau utilisé pour la future de la médiathèque

 

Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui vous a conduit à vous spécialiser dans l’architecture en terre crue ? Notre agence d’architecture a été créée en 1998, en s’intéressant prioritairement à la réhabilitation du patrimoine bâti ancien, antérieur à la reconstruction qui suit la seconde guerre mondiale. Nous nous sommes intéressés à la construction en terre crue dès nos études en école d’architecture au début des années 1990. C’est par l’approche du bâti ancien que nous avons réellement apprécié le rôle que ce matériau a joué dans la construction depuis l’origine de l’humanité jusqu’à une époque très récente. On trouve des constructions en terre crue partout, pour peu qu’on y regarde de près, y compris en Brière ! Nous avons ensuite naturellement prolongé cette pratique en la transposant dans la construction neuve,  pour la réalisation de groupes scolaires et équipements de petite enfance (Écoles de La Chevallerais, de Fégréac, de Bouvron, Multi-accueil de Saint-Etienne de Montluc…) pour des équipements municipaux (Pôle espaces verts de Bouguenais) et d’entreprises (siège social de Biolait à Saffré, de l’Union régionale des SCOP à Rennes). Nous intervenons aussi en école d’architecture, à Nantes et à Rennes, à l’école Centrale et à Polytech, en axant notre enseignement sur la double exigence d’une consolidation des fondamentaux de la conception architecturale, et sur le nécessaire changement de paradigme qu’il nous revient de mettre en application. L’écoconstruction et particulièrement la construction en terre crue constituent notre pratique récurrente pour opérer ce changement.  

Quels sont, selon vous, les principaux avantages de la terre crue en comparaison avec les matériaux de construction conventionnels ? Ce qu’on appelle construction conventionnelle est un système très récent mis en place après 1950 sous l’impulsion du plan Marshall pour massifier les matériaux et modes constructifs industrialisés. La contrepartie de ce choix politique a été l’élimination brutale des savoir-faire traditionnels. Le système normatif, réglementaire et assurantiel du bâtiment, tel que nous le connaissons aujourd’hui, a été bâti sur cette orientation quasi-exclusive. Il y a maintenant un combat de fond auquel nous participons pour remettre ces techniques en usage. Les bienfaits que procure la construction en terre crue sont de trois ordres : environnemental, sociétal, et individuel. La terre qu’on utilise dans la construction n’est pas la terre arable qui est laissée à l’agriculture et au vivant. Nous utilisons la terre minérale qui est un matériau universel et abondant. La terre crue est un matériau dit « géosourcé », car il nécessite peu de transformation, pas de cuisson, peu ou pas de transport. Bien plus qu’un matériau recyclable, c’est le seul matériau dont on peut dire qu’il est véritablement réversible. En fin de vie, le matériau a conservé  l’intégralité de ses propriété initiales et il reste identique à ce qu’il était dans le milieu naturel, si on a pris soin de ne pas y ajouter de produits de stabilisation (chaux ou ciment). Son cycle de vie très vertueux en fait un matériau à l’impact environnemental quasi nul. Le bénéfice sociétal vient de ce que la construction en terre crue se prête modérément à la mécanisation et à l’industrialisation. Elle donne lieu à une forte intensité sociale qui valorise le travail humain et le savoir-faire. Cet aspect ne fait partie ni des exigences réglementaires actuelles, ni des objectifs assignés généralement à la construction. Mais il nous semble indispensable d’y faire contribuer chacun de nos projets. Les bénéfices individuels concernent l’impact du matériau sur le confort. Ses performances surpassent de loin tous les autres matériaux, particulièrement quand on l’additionne de fibres végétales (paille, chanvre, lin, …). C’est ce qu’on appelle l’effet hygrothermique, qui fait que le matériau rafraîchit l’ambiance en période chaude, et la réchauffe en période froide. C’est un climatiseur naturel en été, et un chauffage naturel en hiver ! Dans les bénéfices individuels on peut aussi noter que c’est un matériau qui se répare facilement. Il n’est rien de plus facile que de boucher un trou ou un éclat dans une paroi en terre, en colmatant avec la même terre humidifiée. Il ne reste ensuite qu’à passer un coup d’éponge pour homogénéiser la surface, et la différence entre la réparation et l’existant est indiscernable.

 

Pouvez-vous nous décrire les différentes techniques de construction en terre crue (comme le pisé, le torchis, la bauge ou l’adobe) ? Il y a d’innombrable techniques de construction traditionnelle en terre de par le monde. On les regroupe principalement en quatre grandes familles , mais il est parfois difficile de les classer. Le torchis est une technique de garnissage en terre additionnée de fibres végétales, sur une ossature principale généralement en bois. C’est aujourd’hui encore la technique la plus utilisée, et la plus ancienne dont les archéologues retrouvent la trace. La plupart des terres conviennent au torchis, c’est pourquoi on la rencontre partout dans le monde. Le pisé est une technique qui nécessite une terre particulière, de type argilo-graveleuse, que l’on trouve principalement au pied des massifs montagneux. Elle prédomine en France dans la région Rhône-Alpes. C’est une technique de mur porteur coffré. Elle consiste à prélever la terre dans son état humide naturel, en principe sans ajouter d’eau, et à la comprimer fortement dans des banches avec un pisoir. La plupart des terres que l’on trouve dans l’ouest de la France ne conviennent pas à la technique du pisé. Dans l’ouest de la France c’est la technique de la bauge qui a été régulièrement employée. On la trouve en Vendée dans le Marais breton, dans le bassin de Rennes, en Normandie, en Loire-Atlantique le long du canal de Nantes à Brest et aussi en Brière. Comme le pisé, la bauge est une technique de mur porteur monolithique. Mais ici, la terre est mise en œuvre à l’état plastique, en modelant des mottes de terre que l’on empile pour réaliser une levée qu’on laisse ensuite sécher. L’adobe est une technique proche de la bauge par la nature de la terre et par son état plastique à la fabrication. Sauf que dans ce cas, la terre est mise en forme dans des moules pour confectionner des briques. Les briques sont ensuite séchée avant d’être maçonnées avec un mortier de terre pour construire un mur. Mais pour la médiathèque de Trignac, c’est une cinquième technique qui a été employée : la terre allégée. C’est une technique moderne qui consiste à utiliser la fraction la plus fine de la terre (sables fins, limons et argiles) mélangée à de la fibre végétale pour obtenir un mélange léger avec des propriétés isolantes et mécaniques satisfaisantes. Ce mélange est ensuite projeté ou banché, sur une structure porteuse en ossature bois ou en maçonnerie.  

Comment la terre crue contribue-t-elle à une construction plus durable et respectueuse de l’environnement ? La terre d’excavation constitue le principal déchêt du BTP. Il n’est donc pas nécessaire de l’extraire spécialement pour réaliser un chantier en terre. On peut récupérer la terre du chantier lui-même, et ainsi éviter le transport pour sa mise en décharge. On peut aussi la récupérer sur un autre chantier à proximité. Elle évite donc la mobilisation d’autres matériaux consommateurs d’énergie et de ressources, et émetteurs de CO2. La terre crue a fait la preuve de sa durabilité millénaire dans la construction. Elle était l’une des principales ressources de la construction, avec la pierre et le bois, avant la révolution industrielle et l’utilisation massive des énergies fossiles. Elle est bien placée pour jouer ce rôle à nouveau dans un contexte de transition énergétique où la recherche de sobriété devient incontournable.  

Quel est le cycle de vie d’une construction en terre crue ? Le cycle de vie d’un ouvrage traduit son impact environnemental à chaque étape, depuis l’extraction des matières premières, jusqu’à son élimination ou son recyclage en fin de vie, en passant par sa mise en œuvre et son exploitation. Il tient compte de tous les transports et autres consommations énergétiques à chacune de ces étapes. Dans l’alimentation, on s’indigne à raison que des produits ultra-transformés fasse le tour de la planète avant de finir dans nos assiettes, tout en générant des impacts délétères sur notre environnement et sur notre santé. Il en est de même dans la construction où l’analyse du cycle de vie met en évidence que la plupart de nos matériaux conventionnels ont des impacts négatifs sur l’environnement. La construction en terre crue se positionne comme une filière à très faible impact, lorsqu’elle est menée avec bon sens. De l’extraction de la ressource à la mise en œuvre sur chantier il n’y a que quelques kilomètres, et souvent quelques mètres lorsque l’on utilise la terre du chantier ! Le matériau se réutilise perpétuellement sans perdre aucune de ses qualités initiales. Et si on décide de s’en débarrasser, elle retourne tout simplement à son état d’origine dans le milieu naturel.

Peut-on réutiliser ou recycler les matériaux facilement ? La réutilisation du matériau terre crue se fait facilement en le réhumidifiant jusqu’à la consistance souhaitée pour une nouvelle application. On n’est donc pas dans la logique habituelle du recyclage ou chaque nouvelle transformation dégrade les propriétés du matériau, jusqu’au point ultime où il ne pourra plus être réutilisé.  

Un dernier mot ou un message que vous souhaiteriez partager avec nos lecteurs à propos de l’architecture en terre crue et peut-être sur d’autres matériaux biosourcés? La construction en terre crue géosourcée, est indissociable des matériaux biosourcés. C’est l’association des deux qui permet d’atteindre une performance d’ensemble optimale sur tous les aspects impactant le confort et l’environnement. Je citerai pour terminer un  des rares matériaux  biosourcés utilisables pour la couverture, qui est la tuile de bois, qu’on appelle aussi bardeau, ou tavaillon. Nous l’avons mise sur les toitures et les façade de la partie extension de la médiathèque. On se demande à chaque fois par quel matériau biosourcé ou géosourcé nous pourrions remplacer ceux qu’on utilise de façon conventionnelle. De ce point de vue, le chantier de la médiathèque de Trignac est une réalisation exemplaire

 

 

Couverture bardeaux

Biolait à Saffré

Adobes

 

 

Bruno BELENFANT – 02 40 79 49 49 – atelierbelenfantdaubas.org

Photos : Portrait – Atelier Belenfant Daubas © Germain Herriau

Adobes © Germain Herriau

Biolait à Saffré © Jérôme Blin